«Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne après la bataille»Paroles de François tirées de l’entretien qu’il a accordé au Père Spadaro pour les revues jésuites européennes et américaines
«Qui est Jorge Mario Bergoglio?» demande le Père Spadaro au pape François, à l’entame de leur dialogue. Silence. Puis cette réponse:
‘‘ Je ne sais pas quelle est la définition la plus juste… Si je peux peut-être dire que je suis rusé, que je sais évoluer, il est vrai que je suis aussi un peu ingénu. Oui, mais la meilleure synthèse, celle qui est la plus intérieure et que je ressens comme étant la plus vraie est bien celle-ci: je suis un pécheur sur lequel le Seigneur a posé son regard.,,
François admire Pierre Favre (1506-1546), jésuite savoyard, le premier compagnon de saint Ignace, fondateur de la Compagnie de Jésus. A ce «prêtre réformé», son modèle, le pape associe ces qualités:
‘‘ Le dialogue avec tous, même avec les plus lointains et les adversaires de la Compagnie; la piété simple, une certaine ingénuité peut-être, la disponibilité immédiate, son discernement intérieur attentif, le fait d’être un homme de grandes et fortes décisions, capable en même temps d’être si doux…,,
Le discernement est une qualité que François relie à la spiritualité ignatienne des jésuites de la Compagnie. Elle inspire, dit-il, sa manière d’être et d’agir:
‘‘ Le discernement requiert du temps. Nombreux sont ceux qui pensent que les changements et les réformes peuvent advenir dans un temps bref. Je crois au contraire qu’il y a toujours besoin de temps pour poser les bases d’un changement vrai et efficace. Ce temps est celui du discernement.
Parfois, au contraire, le discernement demande de faire tout de suite ce que l’on pensait faire plus tard. C’est ce qui m’est arrivé ces derniers mois. Le discernement se réalise toujours en présence du Seigneur, en regardant les signes, en étant attentif à ce qui arrive, au ressenti des personnes, spécialement des pauvres. Mes choix, même ceux de la vie quotidienne, comme l’utilisation d’une voiture modeste, sont liés à un discernement spirituel répondant à une exigence qui naît de ce qui arrive, des personnes, de la lecture des signes du temps. Le discernement dans le Seigneur me guide dans ma manière de gouverner.,,
A propos de l’Eglise qu’il espère, une Eglise adaptée à son temps:
‘ ‘ Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Eglise aujourd’hui, c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… Il faut commencer par le bas.
L’Eglise s’est parfois laissé enfermer dans des petites choses, de petits préceptes. Le plus important est la première annonce: «Jésus-Christ t’a sauvé!»
Les ministres de l’Eglise doivent être avant tout des ministres de miséricorde.
Le confesseur, par exemple, court toujours le risque d’être soit trop rigide, soit trop laxiste. Aucune des deux attitudes n’est miséricordieuse, parce qu’aucune ne fait vraiment cas de la personne. Le rigoureux s’en lave les mains parce qu’il s’en remet aux commandements. Le laxiste s’en lave les mains en disant simplement «cela n’est pas un péché» ou d’autres choses du même genre. Les personnes doivent être accompagnées et soignées.
Comment traitons-nous le peuple de Dieu? Je rêve d’une Eglise mère et pasteur. Les ministres de l’Eglise doivent être miséricordieux, prendre soin des personnes, les accompagner comme le bon Samaritain qui lave et relève son prochain. C’est l’Evangile à l’état pur. Dieu est plus grand que le péché. Les réformes structurelles ou organisationnelles sont secondaires, c’est-à-dire qu’elles viennent dans un deuxième temps.
La première réforme doit être celle de la manière d’être. Les ministres de l’Evangile doivent être des gens capables de réchauffer le cœur des personnes, de dialoguer et de cheminer avec elles, de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. Le peuple de Dieu veut des pasteurs et pas des fonctionnaires ou des clercs d’Etat. […]
Au lieu d’être seulement une Eglise qui accueille et qui reçoit en tenant les portes ouvertes, efforçons-nous d’être une Eglise qui trouve de nouvelles routes, qui est capable de sortir d’elle-même et d’aller vers celui qui ne la fréquente pas, qui s’en est allé ou qui est indifférent. Parfois, celui qui s’en est allé l’a fait pour des raisons qui, bien comprises et évaluées, peuvent le conduire à revenir. Mais il faut de l’audace, du courage . ,,A propos de la place des homosexuels dans l’Eglise:
‘‘ Nous devons annoncer l’Evangile sur chaque route, prêchant la bonne nouvelle du Règne et soignant, aussi par notre prédication, tout type de maladie et de blessure. A Buenos Aires, j’ai reçu des lettres de personnes homosexuelles, qui sont des «blessés sociaux» parce qu’elles se ressentent depuis toujours condamnées par l’Eglise. Mais ce n’est pas ce que veut l’Eglise. Lors de mon vol de retour de Rio de Janeiro, j’ai dit que, si une personne homosexuelle est de bonne volonté et qu’elle est en recherche de Dieu, je ne suis personne pour la juger. Disant cela, j’ai dit ce que dit le catéchisme de l’Eglise catholique. La religion a le droit d’exprimer son opinion au service des personnes mais Dieu dans la création nous a rendus libres: l’ingérence spirituelle dans la vie des personnes n’est pas possible. […]
Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. Je n’ai pas beaucoup parlé de ces choses, et on me l’a reproché. Mais lorsqu’on en parle, il faut le faire dans un contexte précis. La pensée de l’Eglise, nous la connaissons, et je suis fils de l’Eglise, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence.
Les enseignements tant dogmatiques que moraux ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. Nous devons donc trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Eglise risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Evangile. L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde, irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent les conséquences morales. ,,
Sur la place des femmes dans l’Eglise:
‘‘ Il est nécessaire d’agrandir les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Eglise. Je crains la solution du «machisme en jupe» car la femme a une structure différente de l’homme. Les discours que j’entends sur le rôle des femmes sont souvent inspirés par une idéologie machiste. Les femmes soulèvent des questions que l’on doit affronter. L’Eglise ne peut pas être elle-même sans les femmes et le rôle qu’elles jouent. Les femmes lui sont indispensables. Marie, une femme, est plus importante que les évêques. Je dis cela parce qu’il ne faut pas confondre la fonction avec la dignité. Il faut travailler davantage pour élaborer une théologie approfondie du féminin. C’est seulement lorsqu’on aura accompli ce passage qu’il sera possible de mieux réfléchir sur le fonctionnement interne de l’Eglise. Le génie féminin est nécessaire là où se prennent les décisions importantes. Aujourd’hui le défi est celui-ci: réfléchir sur la place précise des femmes, aussi là où s’exerce l’autorité dans les différents domaines de l’Eglise.,,
* Le pape François. L’Eglise que j’espère. Entretien avec le Père Spadaro, Flammarion/Etudes, 2013.
Vient aussi de paraître: Evangelii Gaudium, La joie de l’Evangile (Editions Bayard/Saint-Augustin). Ce premier texte écrit du pape François est une exhortation apostolique.http://www.letemps.ch/Page/Uuid/213dc832-6c0a-11e3-8bb8-669ef543082f/Je_vois_lEglise_comme_un_h%C3%B4pital_de_campagne_apr%C3%A8s_la_bataille===================
Je viens de commander ce livre et qq autres.... Nous ne pouvons pas etre de l'Eglise, si nous ne connaissons pas les pensees de notre 'premier' Pasteur (temporellement parlant ; JESUS est bien sur le PREMIER)
Si nous voulons avoir l'audace et le courage, c'est dans les Paroles de nos Papes, les Paroles de Pape Francois, que nous les trouverons.