Le mal vient de l'intérieur

27e dimanche du temps ordinaire - Année A
Le mal vient de l'intérieur

Les hommes sont-ils tous des meurtriers ? Un commentaire du Père Marcel Domergue, sj

Cette parabole récapitule toute l'histoire d'Israël. Voici le peuple choisi pour mettre au monde le Royaume de Dieu tel qu'il a été défini dans le commentaire précédent. Choisi parmi tous les peuples, car tous appartiennent à Dieu, mais choisi pour tous. N'oublions pas qu'Israël joue sur la scène de l'humanité, aux yeux de tous, notre aventure commune. Et c'est bien pour cela que beaucoup lui en veulent: nous n'aimons pas qu'on dévoile au grand jour notre vérité. La Parabole des vignerons concerne donc, à travers Israël, tous les hommes. Tout commence par le propriétaire d'un domaine qui plante une vigne. S'inspirant d'Isaïe (première lecture), Jésus insiste sur la sollicitude de cet homme : la clôture, le pressoir, la tour de garde: un domaine bien défendu des agressions dont parle le Psaume. Or, le danger ne va pas venir de l'extérieur mais de l'intérieur.Ce sont les vignerons, les responsables, qui vont amener les catastrophes. Paul expliquera que rien d'extérieur ne peut nous faire vraiment du mal: «ni la mort, ni la vie, ni les puissances, ni les dominations…» (Romains 8, 35-39). Jésus dit bien, en Marc 7,15-23, que ce n'est pas ce qui vient en l'homme de l'extérieur qui le souille, mais ce qui monte de son cœur. Ainsi, n'allons pas faire porter à d'autres le poids de nos malheurs et de nos décadences: les responsables sont dans la vigne.

"Comblez la mesure de vos pères."

Mais voici justement des visiteurs qui viennent de l'extérieur de la part du maître. Ils ne viennent pas nuire ou piller, mais pour faire valoir le lien naturel qu'il y a entre le maître, la vigne, les vignerons. Longue histoire du litige entre Dieu et le peuple qu'il a choisi. Relisons le début de la Lettre aux Hébreux: «Après avoir à maintes reprises et de bien des manières parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils.» C'est bien le schéma de la Parabole qui, parlant de serviteurs, nous parle en fait des juges, des guides, des rois et avant tout des prophètes qui ont tenté de ramener le peuple sur les chemins de Dieu. On notera la progression qui révèle l'insistance amoureuse de Dieu : d'abord quelques serviteurs, trois semble-t-il; ensuite des serviteurs plus nombreux; enfin le Fils. Il faut relire Matthieu 23,29-39. Là encore, Jésus récapitule l'histoire passée avec une vigueur extraordinaire: «Vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes. Comblez donc à votre tour la mesure de vos pères !» C'est évidemment la crucifixion qui comblera la mesure. Les vignerons se comportent comme des propriétaires de la vigne qui, en fait, leur a été confiée. Ils n'acceptent aucune parole qui leur vient du maître. Il y a là une réédition de ce que nous lisons en Genèse 3: le refus de ce que Dieu dit ; la volonté de s'emparer de sa divinité.

Les racines des conduites meurtrières

Cependant l'histoire ne s'arrête pas là. En Matthieu 23, 34, nous trouvons des verbes au présent, un présent qui équivaut à un futur : «Voici que j'envoie vers vous des prophètes, des sages et des scribes.Vous en tuerez et crucifierez, vous en flagellerez dans vos synagogues.» Et, poursuit Jésus, ces meurtres récapituleront tout le sang versé depuis le commencement du monde. Pourquoi une telle violence ? Quelle est la réalité secrètement refusée au point de tuer ceux qui l'annoncent? Ce que nous ne voulons pas entendre, c'est le message de la réciprocité qui bouclerait le cercle de l'amour. Malheur aux messagers de paix, à ceux qui travaillent pour la justice. Les vignerons reçoivent la vigne et devraient en rendre les fruits. Don reçu et redonné; retour du don à sa source, diastole et systole, aspiration et respiration; le rythme même de la vie. La vie, c'est Dieu lui-même ; et qui refuse la vie donne la mort. Tout cela est transparent: comme les vignerons nous sommes tentés de nous comporter en propriétaires du monde, ce qui conduit à dominer les autres, à les exploiter, que ce soit par la force ou par de subtils asservissements économiques. Tout cela, qui prendra la forme de la croix du Christ, peut nous sembler bien sombre. Notre évangile se termine pourtant par une bonne nouvelle : tous ceux-là que la vie et le monde crucifient deviennent avec le Christ la pierre angulaire de tout l'édifice. Promesse de résurrection.